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Tech for good : l’IA au service des victimes de violence domestique

Par Subarna Ganguly

Dernière mise à jour 8 mars 2024

La peur de parler et de demander de l’aide est réelle, en particulier chez les victimes de violences domestiques, qui ont tendance à souffrir en silence. La plupart des personnes concernées ne se rendent pas compte qu’elles sont dans une relation abusive. Elles ne reconnaissent pas toujours les signes de violence domestique car celle-ci ne s’accompagne pas systématiquement de violence physique. Les conséquences émotionnelles et psychologiques des violences domestiques sont profondes, et c’est la personne qui en est victime qui devra les supporter le reste de sa vie, le plus souvent seule.

Selon les Nations Unies, une femme sur quatre dans le monde et trois enfants sur quatre ont fait l’expérience de la violence domestique. Ce qui rend la situation encore plus difficile est que 60 % des victimes ne cherchent pas d’aide et 90 % d’entre elles ne font pas appel à la police.

Cependant, il est important de mettre en avant les signes de violence domestique, ainsi que les lieux dans lesquels les victimes peuvent se rendre pour obtenir de l’aide. C’est cet objectif qui a incité Rhiana Spring à créer Spring ACT, une association qui associe intelligence artificielle et chatbots pour guider et aider les victimes, et leur donner les armes pour s’en sortir : nous avons rencontré Rhiana Spring, la fondatrice et directrice de Spring ACT, pour en savoir un peu plus sur l’historique de cette organisation, sa mission, ses valeurs et son travail.

L’étincelle de l’espoir : l’histoire de Spring ACT

Diplômée de la Harvard Law School et de la London School of Economics, Rhiana Spring a mis cette formation au service de sa carrière dans le domaine des droits humains. Son travail était initialement consacré à l’aide aux réfugiés et elle a travaillé dans ce cadre avec les Nations Unies, le ministère suisse des Affaires étrangères, et différentes structures juridiques un peu partout dans le monde. « J’ai commencé à travailler dans les tribunaux en Argentine, et j’ai ensuite exercé au Ghana, aux Philippines, au Sénégal et en Éthiopie. Et c’est là que tout a commencé », explique Rhiana, directrice de Spring ACT, lorsqu’elle évoque son parcours.

En 2017, alors qu’elle travaillait pour les Nations Unies en Afrique de l’Ouest, cinq réfugiées sont venues demander de l’aide à Rhiana dans son bureau. Elles se démenaient depuis plus de cinq ans pour trouver de l’aide afin de résoudre différents problèmes, entre autres l’inscription à l’école de la petite Emmanuella. Mais personne n’était en mesure de les aider. Après avoir essayé sans succès de mobiliser différentes agences pour qu’elles interviennent, Rhiana a fait jouer son réseau. Et ça a fonctionné. En un week-end, trois solutions ont pu être trouvées et Emmanuella a pu s’inscrire à l’école.

Inspirée par ce résultat, Rhiana a commencé à travailler à un outil capable d’aider les personnes en situation de vulnérabilité à trouver l’aide dont elles ont besoin, la technologie permettant dans ce cas de les orienter vers les ressources les plus adaptées. L’idée était d’aider ces personnes à s’orienter dans le flot d’informations actuellement disponibles, mais aussi d’aider les institutions en manque de personnel et de moyens financiers à mieux faire face à leur charge de travail, pour permettre à leurs employés de consacrer plus de temps aux personnes en difficulté.

Cependant, avec l’irruption de la pandémie de COVID-19 début 2020 et la nette augmentation des cas de violences faites aux femmes, elle a dû revoir ses priorités. Avec l’aide de quelques amis, Rhiana a pu adapter cette technologie pour répondre spécifiquement aux cas de violence domestique. « Sophia », la première des chatbots destinés à aider les victimes de violence domestique, a ainsi vu le jour en Suisse. En 2021, afin de mieux prendre en considération la vision et les valeurs de l’organisation, l’équipe a décidé de prendre la forme d’une toute nouvelle organisation sous le nom de Spring ACT, ACT signifiant Action, Compassion, et Technologie.

Savoir, c’est pouvoir : comment le chatbot Sophia révolutionne l’aide aux victimes de violences domestiques

Sophia, le chatbot de Spring ACT, apporte une aide 24 h/24 et 7 j/7 aux victimes de violences domestiques, où qu’elles se trouvent dans le monde, et ce, dans la confidentialité la plus totale. « Vous pouvez vous trouver dans la même pièce que votre agresseur et quand même pouvoir demander de l’aide au chatbot Sophia, sans qu’il s’en rende compte. Vous n’avez pas besoin de télécharger une application ou de vous inscrire où que ce soit. Toutes les conversations sont chiffrées et vous ne laissez aucune empreinte digitale derrière vous. L’anonymat et la confidentialité qu’assure Sophia sont sa plus grande force et ce qui en fait un outil unique », ajoute Rhiana.

Les victimes peuvent discuter avec Sophia de ce qu’est une relation abusive, de comment en repérer les signes, de ce qu’elles doivent savoir pour sortir de cette relation, mais aussi, et c’est là le plus important, de la manière de trouver de l’aide, et auprès de qui. Les victimes peuvent aussi créer un coffre-fort virtuel dans lequel elles peuvent enregistrer les preuves des sévices qu’elles subissent, qui pourront ensuite être présentées lors de la prise de décisions telles que l’attribution de la garde des enfants, lors de la procédure de divorce ou pour obtenir des mesures d’éloignement avec l’aide de la police.

« Sophia aide les victimes à mieux connaître leurs droits et à trouver de l’aide au niveau local et national. Elle les met en relation avec des experts et des organisations à même de les aider mais aussi de les guider pour collecter des preuves, par exemple sur la manière de prendre des photos des marques de ces violences. »

Spring ACT a également mis en place un soutien régional en Suisse et au Pérou, et se développe dans le monde entier. Cette organisation est gérée par une équipe de neuf personnes, avec l’aide de plus de quatre-vingts bénévoles. « Nous avons aidé des victimes en Mongolie et en République dominicaine, et même dans d’autres pays où nos bénévoles ne sont pas présents, par exemple au Vietnam. En l’état actuel des choses, nos ressources financières sont limitées, et c’est là notre principal problème ».

Faire le lien entre les victimes et les structures à même de les aider : un enjeu vital

En 2021, Spring ACT a rejoint le programme Tech for Good de Zendesk et a bénéficié ainsi gratuitement d’une assistance produit et pour la mise en œuvre. Cette organisation s’appuie sur Sunshine Conversations pour converser avec les victimes.

En octobre 2022, Spring ACT a reçu le prix Tech for Good Impact. En tant que lauréate d’un des quatre premiers prix, cette organisation a pu bénéficier d’un financement de 50 000 $, ainsi que d’une assistance gratuite.
« Nous sommes très heureuses de cette reconnaissance de Zendesk. Ce financement et ces logiciels gratuits représentent une aide précieuse pour nous développer et étendre la portée de nos activités », explique Rhiana.

Le cas de Spring ACT et du chatbot Sophia est un très bon exemple de ce que peut faire l’intelligence artificielle qui, lorsqu’elle est exploitée de façon pertinente, peut nous conférer un supplément d’humanité.

Vous souhaitez soutenir Spring ACT ? Vous pouvez le faire en effectuant un don ici

Vous êtes victime de violences domestiques ? Pour contacter Sophia, tapez l’adresse www.sophia.chat dans votre navigateur ou recherchez « chatbot Sophia » dans vos applications de messagerie (Viber, Telegram ou WhatsApp).

Participez au prochain événement organisé par Spring ACT à l’occasion de la Journée internationale de la femme : le Hackathon « Hacking Global Injustice : sexism. » L’événement aura lieu du 8 au 10 mars 2024 en plein centre de Londres, à la London School of Economics (LSE). Les 50 participants se réuniront pour développer une application viable pour lutter contre le syndrome de l’imposteur et le sexisme au quotidien.